Depuis 1972 où le terme émerge pour la première fois lors d’une conférence de chercheurs à New York, l’histoire de la QVT n’a cessé de s’enrichir de nombreuses approches et outils. Si les démarches QVT semblent arrivées à maturité dans leurs méthodes, c’est loin d’être le cas en ce qui concerne la compréhension de ses enjeux. Son appropriation par le management plus ou moins sincère, engagée ou contrainte a laissé des traces dans les représentations des acteurs des relations socio-professionnelles, troublant parfois le sens donné à la démarche.
« Dans le cadre de notre stratégie, nous avons mis en place un comité QVT. Il se réunit régulièrement pour échanger sur les idées proposées par les salariés. Lors de la dernière réunion, les sujets ont porté sur la couleur des coussins dans le coin pause, le nombre et le type de plantes vertes à ajouter dans les espaces communs. A l’arrivée, je suis un peu perplexe. L’ambition était de soutenir l’engagement des collaborateurs et nous avons finalement des discussions d’enfants gâtés.»
Ce témoignage d’un chef d’entreprise met en évidence toute l’ambiguïté qui se développe autour des démarches QVT. Sur le fond, tout le monde est à priori d’accord pour améliorer la qualité de vie au travail mais pour quoi faire ? C’est là que réside l’ambiguïté, dans le sens, dans l’ambition donnée par les parties prenantes à la démarche. S’agit-il d’un outil stratégique, de mieux vivre au travail, d’engager les collaborateurs ou d’impacter son écosystème ?
Une étude qualitative auprès de différentes parties prenantes (227 entretiens) rencontrées dans le cadre de nos dernières missions d’accompagnement de démarches QVT, fait ressortir que c’est selon deux dimensions que l’on construit sa représentation des enjeux de la QVT :
- tout d’abord la représentation que l’on a de la performance, est-elle plutôt centrée sur le résultat ou sur la création de valeur ?
- Ensuite, selon la représentation que l’on a de l’organisation, la pense-t-on plutôt comme une mécanique ou plutôt comme un système vivant ?
Selon ces deux axes, ressortent quatre univers représentationnels de la QVT :
- 1- Dans la vision règlementaire de la QVT, on envisage l’organisation davantage comme une mécanique et la performance est avant tout opérationnelle ou financière. Ici la QVT consiste à respecter le cadre réglementaire. C’est une approche statique où la QVT est surtout envisagée comme une contrainte réglementaire. Dans cette approche, il s’agit de faire le minimum légal, d’apporter des réponses précises aux questions posées, de sécuriser l’organisation. Les enjeux vont être par exemple de réduire les risques psychosociaux, de baisser l’absentéisme ou de réduire le turn-over.
- 2- Dans une représentation cosmétique de la QVT, la représentation de l’organisation reste surtout celle d’une mécanique à régler. La conception de la performance s’élargit à l’image produite auprès des parties prenantes : salariés, partenaires sociaux, fournisseurs, clients, candidats à l’embauche … Cet engagement opportuniste est surtout utilisé pour la communication, dans une ambition d’image ou de marque employeur. On est dans l’univers du « happy-washing », du babyfoot et des sourires sur les réseaux sociaux.
- 3- Dans la représentation instrumentale de la QVT, l’organisation est davantage perçue comme un système ouvert sur l’extérieur. Si la performance s’envisage plus largement, elle reste finalement au service des objectifs économiques ou opérationnels. On parle de développer des ressources humaines, de prendre soin du capital humain etc… La QVT s’inscrit dans une logique de process pour en faire un levier d’engagement des collaborateurs. Les démarches sont investies, co-construites et suivies dans le temps.
- 4- Dans une perspective stratégique, la démarche devient globale. L’organisation est davantage envisagée comme un écosystème dont la performance est plurielle. L’équilibre entre résultats et création de valeur a été trouvé. La QVT est une dimension de la RSE, elle-même priorité stratégique. La QVT n’est plus ici la qualité des conditions de vie au travail mais bien la qualité de la vie au travail en elle-même. Il s’agit de libérer les processus vitaux de l’organisation : la créativité, l’échange, l’innovation … Dans cette vision globale, on envisage la QVT comme une dimension du développement humain au-delà de l’organisation de travail, dans le territoire sur lequel opère l’entreprise.
Ces quatre univers représentationnels de la QVT coexistent au sein des organisations. Ils s’y superposent comme des couches sédimentaires et varient selon le niveau de maturité des acteurs, au premier rang desquels les instances de gouvernance.
En matière de QVT, toutes les initiatives sont à valoriser. Quelles qu’en soient les ambitions de départ, elles représentent un pas en avant.
Mais soumises aux disjonctions issues de ces écarts de représentations, les démarches QVT risquent de produire un effet déceptif, voire contreproductif et d’être abandonnées.
Les conditions d’une réussite durable de ces démarches sont avant tout d’ordre culturel. L’alignement des parties prenantes sur une définition de la QVT et sur une représentation partagée des enjeux de la démarche ressort comme un préalable indispensable.
Et vous, où en êtes-vous dans votre culture QVT ?